Institut Pasteur de Madagascar

Dynamique de transmission des bactéries multi-résistantes (BMR) en néonatalogie

Contexte et justification

La diffusion des bactéries multi-résistantes (BMR) a un impact important sur les établissements de santé du monde entier, aggravant le pronostic des malades infectés et augmentant les dépenses liées à leur prise en charge. Malgré le peu de données de qualité disponibles, quelques études montrent que ces BMR ont largement diffusé dans les hôpitaux africains. Les Staphylococcus aureus résistants à la méthicilline (SARM) et les entérobactéries résistantes aux céphalosporines de 3ème génération (EBRCIIIG) sont les BMR les plus préoccupantes. La résistance des EBRCIIIG est principalement assurée par la production de bêtalactamases à spectre étendu (BLSE) de type CTX-M dont la diffusion est qualifiée de pandémique. La résistance à la méthicilline des S. aureus est liée à la synthèse d’une protéine de liaison à la pénicilline, la PLP2a, qui possède une faible affinité pour les Bêtalactamines. Quelques clones de SARM ont émergé et sont responsables à eux seuls de la plupart des infections nosocomiales dans le monde, bien que la majorité des clones majeurs en Afrique soient rarement retrouvés sur les autres continents. Par ailleurs, les infections néonatales dans les pays en voie de développement (PVD) sont considérées comme une cause prédominante de létalité et ont été identifiées comme un axe d’amélioration indispensable pour faire reculer la mortalité infantile. Les étiologies bactériennes sont en majorité des entérobactéries multi-résistantes aux antibiotiques d’acquisition nosocomiale. L’infection néonatale est considérée comme l’étape finale succédant à une série d’évènements antérieurs de portage, de colonisation et de contamination de la mère, du personnel soignant et de l’environnement. En effet, les infections ne représentant que la partie « émergée de l’iceberg », l’analyse épidémiologique de la résistance se doit d’évaluer aussi les dynamiques de colonisation.

Objectifs

L’objectif principal de ce projet était de mesurer et d’analyser les évènements de transmission inter-individuelle d’EBRCIIIG de manière à modéliser la transmission de ces bactéries dans un service de néonatalogie.

Méthodes

1. Population

Il s’agissait d’une cohorte prospective constituée de nouveau-nés hospitalisés, de l’accompagnant principal et de l’ensemble des personnels soignants dans le service de néonatalogie, de l’hôpital CENHOSOA à Antananarivo.

2. Inclusion des participants et prélèvements

A l’inclusion, des prélèvements systématiques du nouveau-né, de son accompagnateur principal et de l’ensemble du personnel soignant (écouvillonnage de l’ampoule rectale ou émission de selles) ont été effectués pour détecter la colonisation des EBRCIIIG au niveau intestinal. Le portage d’EBRCIIIG au niveau des mains était recherché uniquement chez l’accompagnant principal et le personnel soignant. En présence de lésions cutanées, un prélèvement avait été effectué pour détecter la colonisation par EBRCIIIG, mais également des bactéries pathogènes. Des prélèvements environnementaux ont été réalisés en début, milieu et fin de projet sur les sources de contaminations à risque. Les données sur les caractéristiques socio-démographiques et les antécédents médicaux ont été aussi collectés.

3. Suivi des participants

Le type de prélèvements était le même qu’à l’inclusion. Le rythme de ces prélèvements dépendait de la durée de l’hospitalisation: pour les nouveau-nés et l’accompagnant principal, tous les 7 jours, si la durée d’hospitalisation était >7 jours, dans le cas contraire, uniquement lors de la sortie de l’hôpital. Le personnel soignant était prélevé de façon hebdomadaire. Pour l’accompagnant principal et le personnel soignant, la recherche d’EBRCIIIG au niveau des mains se faisait tous les deux jours. Les données enregistrées concernaient les facteurs de risque présumés de portage/colonisation et de transmission : topologie relationnelle, les actes invasifs effectués, l’administration d’antibiotiques que ce soit de manière préventive ou curative, la consommation d’antibiotiques de l’accompagnant principal, les hospitalisations et les périodes de travail du personnel soignant.

4. Recueil des données bactériologiques

Procédures microbiologiques : Les étapes de microbiologie clinique comprennent des cultures sur milieux sélectifs, une identification par spectrométrie de masse MALDI-TOF, un antibiogramme par la méthode de diffusion en milieu gélosé selon les recommandations du comité de l’antibiogramme de la société française de microbiologie et une conservation par congélation à -80°C des colonies.

Procédures moléculaires : Séquençage du génome bactérien pour le criblage des gènes de résistance et/ou virulence. Calcul des homologies entre souches BMR de même espèces et réalisation d’arbres phylogénétiques dans le but de confirmer et quantifier la transmission des BMR.

Résultats et discussion

L’étude a débuté le 27/08/2014. Vingt-deux nouveau-nés (68 écouvillonnages rectaux), 24 accompagnants (48 émissions de selles, 62 appositions de doigts) et 21 personnels soignants (105 émissions de selles, 268 appositions de doigts) ont été inclus et 98 prélèvements environnementaux effectués. Au total, 649 prélèvements ont été inclus dans l’étude jusqu’au 06/03/2015. Après culture sur le milieu sélectif CHROMagar ESBL, 25% des prélèvements (N=163) ont donné des colonies sur le milieu sélectif, dont la majorité était représentée par des Escherichia coli (36%), des Klebsiella pneumoniae (33,5%), des Enterobacter spp. (17%), mais aussi par d’autres bactéries minoritaires comme Cronobacter sakazakii, Stenotrophomonas maltophilia et Acinetobacter spp. La majorité de ces souches (N=288; 89%) produisait une BLSE. Les prévalences de colonisation par des BMR à l’inclusion pour les nouveau-nés, accompagnants et personnels soignants étaient respectivement 46% (IC 95%: 25-67), 46% (IC 95%: 26-66) et 38% (IC 95%: 17-59). Les taux d’acquisition (acquisition prolongée ou temporaire) pour les non-porteurs après l’inclusion étaient de 62% (IC 95%: 36-88), 50% (IC 95%: 22-78) et 23% (IC 95%: 0-46) respectivement pour les personnels soignants, les nouveau-nés et les accompagnants.

Au total, 68 souches bactériennes (E. coli (N=51), K. pneumoniae (N=13) et E. cloacae (N=4)) supposées être transmises entre les entités étudiées sur base des critères phénotypiques (même espèce et même antibiogramme) et spatio-temporels ont été séquencées (génome entier). Les séquences sont en cours d’analyse afin de mettre en évidence des liens phylogéniques entre les souches et d’ainsi définir les différents clones circulants dans le service de néonatologie durant la période de l’étude. Cette caractérisation nous permettra de confirmer mais aussi de quantifier la transmission des différents clones entre les personnes et de déterminer les différentes routes de transmission.

Par ailleurs, ces séquences ont déjà été analysées avec le logiciel Resfinder afin d’identifier les gènes de résistance aux antibiotiques (génotype) et les résultats comparés à ceux de la sensibilité aux antibiotiques (phénotype) : parmi ces 68 souches bactériennes, 53 produisaient une BLSE codée par des gènes bla CTX M-15 (n=46 ; 87%), blaCTX M-27 (n=3), blaCTX M-1 (n=1), blaCTX M-14 (n=1), blaCTX M-124 (n=1), et  blaOKP-B-7 (n=1).

Cinquante et une souches (96%) produisant une BLSE présentaient aussi une résistance aux fluoroquinolones (ciprofloxacine). Parmi les souches contenant le gène blaCTX-M-15, 21 (46%) étaient porteuses du gène aac(6’)Ib-cr, 8 (17%) du gène qepA et 1 (2%) du gène oqxA. La souche contenant le gène blaCTX-M-14 était porteuse du gène aac(6’)Ib-cr ; la souche contenant le gène blaOKP-B-7 portait les gènes aac(6’)Ib-cr, oqxA , oqxA et qnrB66. Quatre souches n’avaient aucun gène de résistance acquis, leur résistance est très certainement due à des mutations dans les gènes chromosomiques gyrA et/ou parC.

Quarante-trois souches (81%) produisant une BLSE présentaient aussi une résistance aux aminoglycosides (gentamicine). Pour les souches portant le gène blaCTX-M-15, 10 (22%) étaient porteuses d’un gène ou d’une combinaison des gènes suivants aac(6’)Ib-cr, aac(3)-IId, strB, strA, aadA5. La souche contenant le gène blaCTX-M-14 était porteuse des gènes aac(6’)Ib-cr, strB, strA, aadA5; la souche contenant le gène blaCTX-M-1 était porteuse des gènes strB, strA, aadA1; la souche contenant le gène blaCTX-M-27 était porteuse des gènes strB, strA, aadA5 et la souche contenant le gène blaOKP-B-7 était porteuse des gènes aac(6’)Ib-cr, aac(3)-IId, strA et strB.

Ces résultats montrent une circulation substantielle de souches de portage, potentiellement pathogènes pour certaines, résistantes aux CIIIG et à d’autres antibiotiques cliniquement importants dans un service de néonatologie. Ces résultats incitent donc à la plus grande prudence sur l’utilisation des antibiotiques et renforcent la notion d’hygiène essentielle pour contrecarrer leur transmission.

Impact

Mise en place d’intervention guidée par la scénarisation du modèle. Le modèle développé et paramétré pour la dynamique de transmission pourra être directement utilisé en vue de guider la mise en place de mesures de contrôle visant à réduire la transmission des BMR dans les services. En effet, plusieurs stratégies de contrôle (ou combinaisons d’entre elles) pourront être simulées et leurs effets sur la prévalence des BMR dans les services comparés. Il sera ainsi possible d’évaluer l’effet de différentes politiques d’hygiène, d’exposition aux antibiotiques ou de réorganisation dans les services sur la diffusion des clones et d’identifier les mesures ou combinaisons de mesures les plus efficaces.

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