IMI-LeptoDiag Diagnostic sérologique de la leptospirose humaine à Madagascar 

Contexte et justification

La leptospirose est une anthropozoonose de répartition mondiale due une bactérie pathogène du genre leptospira et de l’espèce Leptospira interrogans. Cette maladie sévit particulièrement dans les régions tropicales et subtropicales, où l’agent pathogène trouve les conditions optimales pour sa survie (Bharti et al., 2003). La prévalence mondiale de la Leptospirose est estimée à 1,7 millions de cas/an avec un taux de mortalité pouvant atteindre 20% (OMS, 2012). Le réservoir animal est très diversifié, et outre les rongeurs (rats, souris) et les insectivores, il comprend aussi des animaux domestiques (chiens) et d’élevage (bovins, porcs). Tous ces animaux disséminent des leptospires par voie urinaire et les bactéries peuvent survivre longtemps en eau douce (rivières et les lacs). Les rats, excrétant de fortes concentrations de leptospires dans leurs urines pendant des mois après leur infection initiale, sont considérés comme le principal réservoir (Evangelista et Coburn, 2010). Les zones humides sont des zones à risque de contamination et la transmission humaine est le plus souvent indirecte par l’eau ou la boue contaminée par des urines d’animaux infectés. Chez l’Homme, les manifestations cliniques peuvent varier d’un simple syndrome grippal à des atteintes multiviscérales engageant le pronostic vital. Ces symptômes peu spécifiques en début de maladie, rendent le diagnostic clinique différentiel difficile car ils sont proches d’autres pathologies tropicales telles que la grippe, la dengue ou le paludisme. Bien que rapportée dans d’autres îles de l’Océan Indien (La Réunion, Mayotte et les Seychelles), l’impact de la maladie à Madagascar reste mal connu à cause des difficultés à identifier des cas cliniques dans les centres de santé et à cause de l’insuffisance d’outils de diagnostic. Le test de référence, Microscopic Agglutination Test (MAT), est réalisé dans peu de laboratoires dont le Centre National de Référence de la Leptospirose (CNRL) à l’Institut Pasteur à Paris. Le CNRL, a développé un nouvel antigène (Leptospira fainei serovar Hurstbridge) ayant une large communauté antigénique avec les différents sérogroupes de leptospires. Cet antigène est utilisé en routine depuis plusieurs années dans un test ELISA (détection des réactivités IgM) ayant une sensibilité de 94% et une spécificité de 99% (Bourhy et al., 2013). Un test immuno-chromatographique (ICT, bandelette réactive) a également été développé par le CNRL en collaboration avec le Réseau des Institut Pasteurs (Madagascar et Nouvelle Calédonie, Goarant et al., 2013)

Objectifs

Afin de mettre en place les tests de diagnostic de la Leptospirose Humaine à Madagascar et renforcer la surveillance de cette pathologie dans les formations sanitaires, différents projets de recherche ont été initiés depuis 2012 avec comme objectifs spécifiques:

  • implémenter à l’IPM et de valider les tests de diagnostic sérologique (ELISA et immuno-chromatographie) pour la détection des IgM anti-Leptospires chez l’Homme en utilisant l’antigène Leptospira fainei serovar Hurstbridge ;
  • mettre en place un test ELISA-IgG pour des analyses de séro-épidémiologie en population ;
  • évaluer la prévalence de la leptospirose dans différentes populations (éboueurs, éleveurs, agriculteurs, …) afin d’identifier les personnes à risque ;
  • diagnostiquer cette pathologie chez des sujets présentant des symptômes évocateurs de la leptospirose ;
  • déterminer les facteurs de risque potentiels associés à cette maladie.

Méthodes

La première partie de ce projet a consisté à mettre en place dans l’Unité d’immunologie des maladies infectieuses, d’une part la production de l’antigène Leptospira fainei serovar Hurstbridge et d’autre part, la fabrication de tests de diagnostic immuno-chromatographique. Cette mise en place a été réalisée à travers des cycles de formation et de transfert de technologie entre le CNRL et l’Unité. L’antigène Leptospira fainei serovar Hurstbridge a également été utilisé pour analyser les réponses immunes humorales (IgM et IgG) par ELISA en population générale ou au sein de population à risques telles que les éboueurs ou les éleveurs.

Résultats et discussion

La culture de la bactérie Leptospira fainei serovar Hurstbridge a été mise en place au laboratoire. Le processus de production et la qualité de l’antigène (extrait total bactérien inactivé) ont été validés par le CNRL. Parallèlement, en utilisant différents lots d’antigène produit par le CNRL, une série de plus de 3000 bandelettes permettant de détecter les IgM anti-Leptospires chez l’homme a été produite. Ces lots ont permis de valider un certain nombre de critères essentiels pour le développement et la production de ce test de diagnostic à l’IP Madagascar (stabilité des bandelettes, répétabilité des résultats obtenus sur des lots de fabrication différents, reproductibilité des résultats). Les tests de stabilité, sensibilité et spécificité réalisés à la fois au CNRL et à l’IP Madagascar ont montré que ces tests sont très stables après conservation à 4°C pendant 3 à 6 mois et à 40°C pendant 6 semaines. Les lots de bandelettes réactives produits ont également été validés avec succès sur plusieurs sites distincts à savoir les CHU de Saint Pierre – La Réunion et de Mayotte. Les ELISA permettant de détecter à la fois les IgM et les IgG ont été mis au point. L’ensemble des outils de diagnostic (ELISA-IgM, ELISA-IgG, bandelettes réactives et MAT) a été utilisé au cours d’étude séro-épidémiologiques afin d’évaluer la prévalence de cette pathologie à Madagascar.

Etudes séro-épidémiologiques

Une étude de cohorte sur une population potentiellement à risque : personnel des voiries urbaines d’Antananarivo (BMH et société SAMVA) a été réalisée (Projet ACIP-Leptospirose). Du sang a été collecté chez 302 éboueurs de la commune urbaine d’Antananarivo en mai-juillet 2013 (T0) et un an après, août-septembre 2014 (T1). Les séroprévalences à T0 et à T1 étaient respectivement de 10,6% et 5,6% en ELISA IgM et de 29,5% et 20,2% en ELISA IgG. Des résultats comparables ont été obtenus en utilisant des bandelettes réactives (TDR-Lepto-IgM) avec 10,7% d‘éboueurs positifs à T0 et 6% à T1. Les sérums positifs en ELISA ont ensuite été analysés par MAT au CNRL de l’Institut Pasteur, Paris. Les résultats montrent des réactivités immunologiques contres différents sérovars : ballum, hardjo, icterohaemorragiae, javanica, panama, pomona, sejroë et patoc, avec des titres en anticorps variant de 1/100 à 1/800. Les résultats obtenus au cours de ce projet suggèrent une exposition du personnel des voiries urbaines d’Antananarivo à la leptospirose et indiquent que cette population à risque devra être ciblée pour améliorer le diagnostic et la prise en charge des cas de Leptospirose.

En collaboration avec L’Unité Peste et L’Université d’Aberdeen, des études de séroprévalence (ELISA-IgG) ont été réalisées en population au niveau national (Projet ZORA) et dans le district de Moramanga (Projet PRIZM). Au total 3146 échantillons de sérums ont été analysés: 1738 sérums pour ZORA et 1408 sérums pour PRIZM. Les résultats obtenus ont permis de mettre en évidence des séroprévalences respectives de 9% pour ZORA et 7,5% pour PRIZM. Les résultats obtenus au cours ce ces deux études sont en cours d’analyses et permettront de mieux comprendre les facteurs de risque associés à la circulation de cette zoonose à Madagascar.

Pour finir, une étude de séroprévalence est actuellement en cours pour évaluer la prévalence de la Leptospirose dans le district de Mahajunga avant et après la mise en place d’un projet d’assainissement (Projet IRCOD).

Impact

Des outils de diagnostic sérologique et moléculaire pour la leptospirose sont actuellement disponibles à Madagascar et offrent la perspective de pouvoir mener des investigations séro-épidémiologiques sur la Grande île et dans la Région océan Indien.

A terme, l’ensemble des études sur la séroprévalence de la Leptospiroses dans des populations à risque et dans différents districts de Madagascar permettra (1) de mieux cibler cette zoonose négligée à travers des campagnes de surveillance épidémiologique de cette maladie, (2) de mettre en place des stratégies de lutte contre la leptospirose, (3) d’identifier les populations et les zones à risques et (4) d’améliorer le diagnostic et la prise en charge des cas leptospirose humaine à Madagascar.